Lettre à UNICEF France
À
Mme la présidente Michèle Barzach
M le directeur général Sébastien Lyon
UNICEF France
3 rue Duguay-Trouin
75282 PARIS Cedex 06
Objet : accès des mineurs aux corridas
Paris, le 19 novembre 2014
Madame la Présidente, Monsieur le Directeur,
La Journée internationale des droits de l'enfant, fixée en France le 20 novembre, voit en cette année 2014 le 25ème anniversaire de l'adoption par l'ONU de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), ratifiée par la France en 1990, ainsi que le 50ème anniversaire du Comité Français pour l'UNICEF (UNICEF France).
A cette occasion, nous vous écrivons au nom du collectif PROTEC (Protégeons les Enfants des Corridas), qui regroupe plus de cent psychiatres et psychologues français, pour vous demander expressément de prendre position sur l'accès des mineurs aux corridas en France.
En effet, dans son rapport émis en février de cette année 2014 sur les droits de l'enfant au Portugal, le Comité des Droits de l’Enfant, organe de l'ONU chargé de veiller à l'application de la CIDE, s'est déclaré préoccupé par l'impact de la violence des corridas sur les enfants (point 37), et a explicitement exhorté l'État, d'une part à prendre des mesures visant à protéger les enfants des corridas, d'autre part à mener des campagnes de sensibilisation sur l'impact envers les enfants de la violence physique et mentale liée aux corridas (point 38).
Comme vous le savez, le Comité des Droits de l'Enfant est composé de 18 experts indépendants de tous pays, et dans le cadre de cette Convention, le terme « enfant » signifie mineur de 18 ans.
Soulignons tout particulièrement que le Comité a estimé, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres domaines, que l’intérêt supérieur de l’enfant devait primer sur la responsabilité parentale.
Il va de soi que ces préoccupations s'appliquent non seulement aux corridas portugaises, où le taureau est abattu hors la vue du public, mais à plus forte raison aux corridas espagnoles, dont le dernier tiers est consacré à la mise à mort en public de l’animal. Celles-ci, interdites sur les neuf-dixièmes du territoire français dans le cadre des « sévices graves et actes de cruauté » sur animaux (article 521-1 du code pénal), sont tolérées dans une soixantaine de municipalités situées dans onze départements du Sud, au titre de la « tradition » (alinéa 7).
Des universitaires spécialisés dans la psychologie et dans le droit, de concert avec le PROTEC, ont interpellé le 11 août 2014 le gouvernement français sur les mesures qu'il compte prendre. Ils demandent notamment au gouvernement quel âge minimum il entend imposer pour l'assistance, la participation, et l'entraînement aux spectacles tauromachiques sanglants, et quelle est sa position vis-à-vis des écoles taurines dédiées à la corrida espagnole.
L’Élysée nous en a accusé réception le 8 septembre.
Nous avons parfaitement conscience des multiples souffrances dont les enfants sont victimes de par le monde, qu'il s'agisse des maladies, de la misère, de l'exploitation, des mauvais traitements, voire des conflits armés.
Il n'empêche que l'une des trois vocations d'UNICEF France est de « veiller à l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant en France ».
Même si des progrès restent toujours à accomplir, et malgré ses difficultés actuelles, la France est pour les enfants un pays favorisé par rapport à bien d'autres pays du monde. Raison de plus pour ne rien négliger.
D'autant que le Comité des Droits de l’Enfant devrait examiner le rapport de la France lors de la pré-session de juin 2015, puis lors de la session de janvier 2016 afin de rendre ses conclusions.
Nous connaissons les liens que les comités d'UNICEF France peuvent entretenir avec des collectivités locales où des enfants assistent, souvent gratuitement, aux spectacles tauromachiques.
Nous savons que des villes comme Nîmes, Arles, Mont-de-Marsan, ou encore Alès, Saint-Martin de Crau, Carcassonne, se sont vues attribuer en partenariat avec UNICEF France le statut de « Villes amies des enfants ».
Mais le moment est venu pour UNICEF France, tout en gardant les liens qu’il a su tisser, d'attester qu'il n'a pas pour mission d’agréer passivement des « traditions locales » à risque pour le mineur.
Non plus que d'attendre passivement les décisions des pouvoirs publics.
UNICEF France a pour mission de montrer la voie à suivre !
Nous lui demandons par conséquent de s'associer à la lettre que nous avons adressée le 11 août 2014 au gouvernement.
En l'attente de votre réponse, nous vous prions d'agréer, Madame la présidente, Monsieur le directeur général, l'assurance de notre considération distinguée.
Les coordinateurs du collectif PROTEC
Dr Jean-Paul Richier Joël Lequesne Dr Jean-Michel Cahn
Psychiatre Psychologue Psychiatre