Mineurs et corridas : avancées à l'étranger
En 2021, des avancées sur la question de l'accès des mineurs à la tauromachie sanglante ont eu lieu dans trois pays : le Pérou, le Mexique, et le Portugal. Ces avancées méritent d'être soulignées, car dans les pays ibériques et latino-américains encore "taurins", les lobbies de la tauromachie sont très présents auprès des institutions publiques, à l'instar du lobby de la chasse de loisir en France.
Pérou : la décision du deuxième tribunal constitutionnel de Lima
En décembre 2017, les avocates qui présidaient la Commission pour la protection du droit de la famille et la Commission des études sur les droits des animaux de l'Ordre des avocats de Lima avaient déposé un recours en protection constitutionnelle ("amparo", procédure sans équivalent en droit français).
Il y était demandé que le ministère de la Femme et des Personnes Vulnérables et le ministère du Travail se conforment à la recommandation de tenir les mineurs à l'écart de la tauromachie faite à l’État péruvien par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies en janvier 2016.
Dans sa décision du 30 juillet 2021, que les médias ont relayée mi-septembre 2021, le deuxième tribunal constitutionnel de Lima a déclaré cette demande fondée en ce qui concerne la formation des mineurs pour être toreros et leur participation en tant que toreros à des spectacles tauromachiques. Il a enjoint au ministère du Travail de procéder à des contrôles et des sanctions, au ministère de la Femme et des Populations Vulnérables de mettre en place des programmes de sensibilisation aux droits des mineurs, et a exhorté ces deux ministères à présenter un projet de loi tenant compte des observations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU.
Cette décision est un jugement de première instance, les recours constitutionnels au Pérou suivant plusieurs étapes. Les ministères mis en cause ont fait appel, donc une Chambre constitutionnelle de Lima devra se prononcer, et sans doute au final la Cour constitutionnelle du Pérou.
Chose peu commune, l'intégralité de cette décision est accessible en français, grâce au concours de Philippe Zueras et de Clémence Marliangeas, étudiants en master de traduction à l'Université de Lille, que nous tenons à remercier pour ce précieux travail.
Nous la mettons en ligne ci-dessous.
(NB : pour certains termes sans équivalent dans le droit français, nous avons choisi d'un commun accord une traduction qui nous paraissait adaptée, ainsi "recours en protection constitutionnelle" pour "proceso de amparo" ou "avocate publique" pour "procuradora publica").
Mexique : la recommandation de la Commission d’État des droits de l’homme de San Luis Potosí.
Les arènes de la municipalité de San Luis Potosi, capitale de l'État homonyme, sont parmi les 20 arènes les plus importantes des quelque 200 arènes du Mexique en termes de spectacles tauromachiques.
Au Mexique, il y a dans chacun des 31 États fédérés une Commission d’État des droits de l’homme (CEDH), organisme public indépendant chargé de défendre et de promouvoir les droits de l'homme.
Le 11 février 2019, le porte-parole du Collectif Antitauromachie de San Luis Potosi avait demandé à la CEDH d'émettre des mesures de précaution afin que la mairie de San Luis Potosi et le Bureau de Protection des Enfants et des Adolescents interdisent l'entrée des mineurs à la corrida prévue le 16 février. Malgré ces mesures de précaution, les autorités municipales avaient permis l'entrée des mineurs, se contentant d'apposer une affiche d'avertissement.
Par conséquent, en mars 2019, le porte-parole du Collectif Antitauromachie de San Luis Potosi a déposé une plainte auprès de la CEDH.
Celle-ci, après avoir instruit le dossier, a émis une recommandation le 13 septembre 2021.
Elle confirme que la mise en oeuvre des droits de l'enfant implique l'interdiction pour les mineurs d'assister ou de participer aux spectacles tauromachiques.
Elle demande au maire de San Luis Potosi de mettre en place un projet de modification du règlement taurin et du règlement des spectacles publics, afin de les conformer aux observations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU.
Et elle demande au Système municipal de protection intégrale des enfants et des adolescents de mettre en place un projet de modification de la loi sur les droits des enfants et des adolescents de l'État de San Luis Potosi, afin de les conformer aux instruments internationaux et à la Constitution mexicaine.
Portugal : le décret-loi approuvé en Conseil des ministres
Les corridas portugaises ou "touradas" diffèrent des corridas espagnoles, mais sont également cruelles. Le taureau a les cornes sciées et recouvertes de gaines de cuir. Un cavalier plante dans son dos 3 farpas (l’équivalent des banderilles) longues, puis 3 farpas courtes, puis éventuellement 3 farpas encore plus courtes. Le taureau n’est pas tué en public, mais après le spectacle.
Le 14 octobre 2021, le Conseil des ministres du Portugal a approuvé un décret-loi qui modifie la classification d'âge pour assister aux spectacles tauromachiques, en fixant le seuil à 16 ans, à l'instar de l'âge minimum requis pour participer aux spectacles tauromachiques.
Il a précisé que cette mesure faisait suite au rapport du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies du 27 septembre 2019, qui recommande au Portugal le relèvement de l'âge minimum pour assister aux spectacles tauromachiques.
En fait, dans ses observations finales de 2019 au Portugal, le Comité des droits de l'enfant recommandait de fixer à 18 ans l’âge minimum pour participer ou assister à des courses de taureaux, mais 16 ans est mieux que 12 ans, l'âge seuil jusqu'alors retenu.
A ce jour, nous n'en savons pas plus sur la mise en œuvre concrète de ce décret, non seulement parce qu'il n'y a pas de "touradas" au Portugal entre début novembre et fin janvier, mais surtout parce que cette mesure n'a pas encore été publiée au Journal Officiel portugais. La situation politique est actuellement en suspens au Portugal, car le président de la République a prononcé la dissolution du Parlement le 5 décembre 2021, suite au rejet par celui-ci le 27 octobre du projet de budget de l'État pour 2022, de prochaines élections étant prévues le 30 janvier 2022.
En conclusion
Chacune des mesures ci-dessus fait référence aux recommandations émises par le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, respectivement au Pérou en 2016, au Mexique en 2015, et au Portugal en 2019 (ces dernières reprenant les recommandations de 2014).
Le Comité des droits de l'enfant a fait des recommandations analogues à la France en 2016, mais la patrie des Droits de l'Homme n'a toujours pas donné suite...