Présentation

D'après Antonio Mingote
La motion présentée sur ce site s'inscrit dans une double logique de protection de l'animal et de protection de la jeunesse. Elle vise à attirer l'attention sur les répercussions possibles du spectacle de la corrida sur les esprits, notamment en termes de choc affectif ou d'accoutumance à la violence.
Exposé de la situation
La corrida est un spectacle au cours duquel six taureaux sont lâchés successivement dans une arène. Chaque taureau y reste une vingtaine de minutes, durant lesquelles il est blessé de façon codifiée à l'aide de divers instruments de métal, jusqu'à sa mort.
Dans les plus rares corridas portugaises, durant lesquelles le taureau est blessé par un cavalier, le taureau est abattu après le spectacle.
En France, la corrida est un délit en tant que "sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux", mais les auteurs de ce délit bénéficient d'une immunité légale dans certaines zones de onze départements du sud au titre d'une "tradition locale" (alinéa 7 de l'article 521-1 du Code pénal). Précisons qu'une nouvelle proposition de loi visant à supprimer cette dérogation peu constitutionnelle a été déposée en juillet 2010, et déjà co-signée par plusieurs dizaines de députés.
Rappelons enfin que les enquêtes d'opinion montrent que les trois-quarts des Français sont opposés à ce spectacle, et que les deux-tiers souhaitent son interdiction pure et simple.
Les mineurs, quel que soit leur âge, peuvent assister à ces spectacles. Leur entrée est même favorisée par des réductions de prix, voire la gratuité des places.
Les taurins font du prosélytisme intensif envers les mineurs.
Les arènes subissent une baisse de fréquentation (ainsi en 2009, 15 à 20% de spectateurs en moins en France, et 30% en Espagne).
L'un des axes stratégiques majeur du "mundillo", le monde de la corrida, est de favoriser la relève par des actions auprès des enfants. Ceci peut prendre la forme de festivités visant les enfants (comme la Féria des Enfants à Nîmes, la Féria de los Ninos à Arles ou la Féria di Pichoun à Saint-Martin-de-Crau). Ceci peut aussi prendre la forme plus insidieuse d'actions prétendument culturelles dans les établissements scolaires : interventions de matadors ou d'associations tauromachiques, concours de dessins ou d'affiches sur le thème de la corrida, sorties "pédagogiques" à des expositions, des salons, des rencontres taurines, voire à des prestations tauromachiques.
Enfin, il existe en France quatre écoles de tauromachie comportant des formations aux corridas pour les mineurs : Nîmes (Gard) depuis 1984, Arles (Bouches-du-Rhône) depuis 1988, Béziers (Hérault) depuis 2003, et Cauna (Landes) depuis 2006. Les enfants y sont admis à partir de 10 ans voire moins, le mercredi et/ou le samedi après midi. Il en viennent à s'exercer sur des veaux dans le cadre de "becerradas" (mettant en jeu des veaux de moins de 2 ans, avec banderilles et avec ou sans mise à mort) ou de "novilladas" (mettant en jeu des taurillons de 3 à 4 ans, avec ou sans piques, avec banderilles et avec mise à mort).
Analyse du problème
Un intérêt particulier a été porté ces dernières années à la question des violences observées par l'enfant et l'adolescent.
La question des violences fictives (films, télévision, jeux vidéos) avait fait l'objet de deux rapports ministériels remis fin 2002 : le rapport de Claire Brisset, Défenseure des enfants, au Ministre de la Justice, et le rapport de Blandine Kriegel, philosophe, au Ministre de la Culture et de la Communication.
Les spectacles de violence qu'ils analysent concernaient implicitement ou explicitement une violence exercée sur d'autres humains, mais il y a lieu de penser que certaines conclusions de ces rapports peuvent être étendues à la violence du spectacle de la corrida.
La littérature médicale sur l'impact des spectacles de violences chez l'enfant et l'adolescent insiste généralement sur deux types d'effets :
- L'effet traumatique.
Cet effet est documenté par des témoignages de personnes ayant été profondément choquées par le spectacle de la corrida alors qu'elles étaient mineures. Une vingtaine de témoignages écrits nominatifs avaient ainsi été présentés lors des Rencontres Animal et Société organisées par le gouvernement en 2008.
- L'incitation et/ou l'accoutumance à la violence.
Ces vingt dernières années, une masse croissante de travaux, essentiellement anglophones, est venue documenter le lien entre la violence envers les animaux et la violence envers les humains.
Certaines études font état plus particulièrement des conséquences chez les enfants ayant assisté à des maltraitances animales, soit en termes subjectifs (bouleversement affectif), soit en termes comportementaux (reproduction de mauvais traitements envers des animaux, mais également envers des humains). Le facteur "culturel" ne saurait à lui seul immuniser les enfants spectateurs, surtout lorsqu'il s'agit d'un fait culturel aussi largement contesté que la corrida.
D'un point de vue juridique, l'accès des mineurs aux arènes est une anomalie. En effet, le code pénal faisant état de "sévices graves ou actes de cruauté", quand bien-même il existe une dérogation territoriale, l'accès des arènes devrait être interdit aux mineurs. En France les mineurs sont protégés des spectacles violents : signalétique obligatoire définie par le CSA (art. 15 de la loi du 30 septembre 1986 ayant donné lieu à la signalétique TV du CSA : 10, 12, 16 ou 18 ans), règlementation de l'accès aux salles de cinéma (décret du 23 février 1990 précisant les modalités des classifications cinématographiques : 12, 16 ou 18 ans, décret du 15 mai 1992 précisant les modalités d'accès des mineurs aux salles de cinéma), art. 227-24 du Code pénal punissant tout "message à caractère violent" lorsqu'il est "susceptible d'être vu ou perçu par un mineur."
Signalons qu'une proposition de loi visant à interdire l'accès aux courses de taureaux aux mineurs de quinze ans a été déposée en septembre 2007 par trois députés, rejoints par d'autres. Et qu'une vingtaine de parlementaires de diverses couleurs ont sous l'actuelle législature posé des questions écrites au Ministère de l'Intérieur ou de la Justice, pour soulever le problème de l'accès aux arènes des moins de 15 ou 16 ans.
Bien entendu, le spectacle de la corrida n'est pas un facteur de traumatisme pour tous les enfants.
Bien entendu, la corrida n'est pas de nos jours un facteur de violence majeur, par rapport aux problèmes de sécurité socio-économique, de cohérence éducative, de structure familiale, ou d'environnement urbanistique.
Mais il s'agit au moins, en principe, d'un facteur que la société peut contrôler.