Les mineurs et la corrida à l’étranger
En France, la question de l'accès des mineurs aux corridas reste verrouillée par le lobby taurin. Nous allons voir que dans d'autres pays où se pratique la corrida, cette question peut-être abordée, au plan local ou au plan national, et aboutir à des mesures concrètes de protection des mineurs.
Introduction
La corrida est pratiquée dans huit pays.
Trois d’entre eux sont en Europe : Espagne (dans les 9/10e du territoire), Portugal, et France (dans un 1/10e du territoire).
Cinq d’entre eux sont en Amérique Latine :
- le Mexique,
- et quatre pays du nord de l’Amérique du Sud : Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou.
En Espagne, en Catalogne, la deuxième Communauté autonome en termes démographiques, l’accès des moins de 14 ans aux corridas avait été interdit à partir juin 2003. Depuis, on sait que la prise de conscience du caractère néfaste de ce spectacle a poursuivi son chemin, et la corrida a été supprimée depuis début 2012, suite à un vote du Parlement catalan. Cette interdiction n’a donc plus d’objet.
Nous allons ici faire un état des lieux en Amérique latine.
En Amérique latine, le découpage géographique et les capacités des instances administratives et judiciaires sont difficiles à suivre, pour nous autres Français.
La corrida peut y faire l’objet de mesures locales spécifiques (un peu comme au niveau des Communautés autonomes d’Espagne) : États et Municipalités (Mexique, Venezuela), Départements et Municipalités (Colombie), Provinces et Cantons (Équateur), Régions, Provinces et Districts (Pérou).
Les 4 pays d’Amérique du Sud (Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou) ont en commun l’existence d’une « Defensoria del Pueblo », qu’on pourrait traduire par « Office de Défense du Peuple », qui a vocation à défendre les droits de l’homme et du citoyen.
Depuis des années, de nombreuses démarches réglementaires, judiciaires, ou législatives, visent à empêcher l’accès des enfants et des adolescents aux corridas. Nous allons citer les démarches accomplies ou avancées.
Au Venezuela
La corrida y est pratiquée dans 5 États sur 23 (mais représentant plus du tiers le la population).
- Dans l’État de Carabobo, la ville de Valencia (la capitale) dispose d’une arène initialement conçue pour accueillir plus de 26 000 spectateurs. Elle se dispute la place de la 2ème plus grande arène au monde avec Las Ventas de Madrid (24 000 places), après la Monumental de Mexico et ses quelque 45 000 places.
Le 9 novembre 2012, à la demande de la Defensoría del Pueblo, un tribunal de protection de la jeunesse de l’État de Carabobo a décidé que les moins de 18 ans ne pourraient plus accéder aux arènes de Valencia.
Dans les 4 autres États taurins, des mesures de protections des mineurs avaient déjà été prononcées, par des tribunaux de protection de la jeunesse, à la demande de la Defensoría del Pueblo :
- Dans l’État d’Aragua, peu avant en novembre 2012 : interdiction définitive de l’accès des moins de 18 ans aux arènes. La Defensoría, dans son argumentaire, faisait référence à « la santé, l’intégrité physique, psychique et morale les enfants et des jeunes », et le Directeur Général des Services Judiciaires a rappelé que les spectacles taurins étaient « une expression violente et cruelle, contraire aux valeurs supérieures que notre État soutient pour la protection des enfants et des adolescents ».
- Dans l’État de Zulia, en novembre 2011, puis en 2012 : interdiction de l’accès des mineurs de 18 ans à la Feria de la Chinita, dans la ville de Maracaibo (la capitale).
- Dans l’État de Mérida, en août 2012 : interdiction de l’accès des moins de 13 ans aux arènes de Tovar. En février 2012, c’était à la Feria del Sol, à Mérida (la capitale), que la Defensoría del Pueblo enjoignait l’interdiction aux moins de 12 ans, en continuité de décisions municipales lors d’années précédentes.
- Dans l’État de Táchira, en janvier 2012 : interdiction de l’accès des moins de 12 ans à la Feria de San Sebastián à San Cristóbal (la capitale).
En Équateur
En novembre 2009, une résolution de la Defensoría del Pueblo avait enjoint l’interdiction des arènes aux moins de 12 ans, dont avait pris acte, par une résolution du même mois, le CNNA (Consejo Nacional de la Niñez y Adolescencia, le conseil national de l’enfance et de l’adolescence).
Toujours en novembre 2009, Rodrigo Tenorio Ambrossi psychologue, psychanalyste, spécialiste des enfants et des adolescents, enseignant à l’Université, auteur d’ouvrages, et chroniqueur, avait rédigé à l’intention du CNNA une analyse extrêmement intéressante sur la violence, le jeu, les enfants, et la corrida. Rodrigo Tenorio Ambrossi a écrit entre autres sur les drogues, et est familier de la Colombie et du Mexique, c’est dire que pour lui la violence n’est pas un concept abstrait.
En avril 2012, était publiée au Journal Officiel la résolution du CNNA en date de janvier 2012, instaurant un règlement sur la régulation des émissions et des spectacles publics. Et en octobre 2012, un courrier du secrétaire général de la CNNA, son instance coordinatrice, étendait l’interdiction de l’accès aux arènes à tous les mineurs de 18 ans, au titre de l’article 9 du règlement ci-dessus, les spectacles taurins y étant assimilés aux spectacles contenant une « violence extrême ou systématique ».
Au Pérou
Une proposition de loi (n° 546) a été déposé au Congrès en novembre, visant à interdire l’accès des moins de 18 ans aux corridas.
L’exposé des motifs énonce notamment que « Le fait d’assister à des maltraitances animales perpétue le cycle de la violence à travers la désensibilisation et l’imitation des comportements, en particulier chez les sujets en âge d’apprendre. »
Ce projet a été approuvé par la Commission de la Culture et du Patrimoine en janvier 2012, et par la Commission de la Femme et la Famille en septembre 2012. De son côté, le Secrétariat d’État à la Jeunesse, qui dépend du Ministère de l’Éducation, a approuvé ce projet de loi en octobre 2012, en insistant sur la nécessité d’une « politique qui sauvegarde l’intégrité physique, psychique et morale des mineurs ».
Ce projet pourrait donc à présent être mis à l’ordre du jour pour être soumis au vote du Congrès. Toutefois le lobby taurin ne renonce pas à ses manœuvres : ainsi, fin novembre, le nouveau président de la Commission de la Culture a demandé le retour en Commission de ce projet de loi…
En Colombie
Une proposition de loi (n°205) a été présentée en mars 2012 par plusieurs sénateurs. Le Code des mineurs interdit l’accès des mineurs aux « spectacles qui attentent à l’intégrité morale ou la santé physique ou mentale des mineurs » ; la proposition vise à inclure explicitement parmi ces spectacles ceux où « un animal est blessé, violenté, agressé, maltraité, torturé et/ou tué ». Le Code des mineurs protège également ces derniers contre la diffusion ou la publication de certains types de contenus ; la proposition vise à inclure explicitement la promotion des « spectacles publics qui attentent au respect de la vie et de l’intégrité des animaux », ainsi que « l’incitation des mineurs à la violence ».
Au Mexique
Même dans ce pays où la violence et la criminalité sont particulièrement importantes, on se préoccupe de l’impact des corridas sur les enfants.
Par exemple à Tijuana, ville-frontière particulièrement violente, en mai 2012, une proposition visant à empêcher l’accès aux arènes des moins de 14 ans avait été adoptée conjointement par la Commission de la gouvernance et de la législation, et la Commission de la jeunesse et des sports. Cette proposition a été rejetée de peu, fin octobre, par le Conseil municipal (9 voix contre 8).
En conclusion
Dans les pays américains de culture ibérique où se pratique encore la corrida, non seulement les valeurs portées par la corrida font l’objet de vigoureuses discussions, mais ces discussions peuvent aboutir à des mesures concrètes de changement.
En France, le lobby taurin verrouille tout. La patrie autoproclamée des droits de l’homme (et donc de l'enfant) aurait parfois quelques leçons à prendre d’autres pays.