LETTRE OUVERTE
Le Comité des Droits de l'Enfant, organe de l'ONU, dans le cadre de son rapport sur le Portugal en janvier dernier, a recommandé de protéger les mineurs de la violence des corridas. Des professionnels de la psychologie et du droit interpellent le gouvernement français sur les mesures qu'il compte prendre.
À :
Monsieur le Président de la République
Monsieur le Premier ministre
Madame la ministre de la Justice
Madame la ministre des Affaires sociales et de la Santé
Madame la ministre de la Culture et de la Communication
le 11 août 2014
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre,
Le Comité des Droits de l’Enfant (CRC, Committee on the Rights of the Child), organe des Nations Unies chargé de faire respecter la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990, a rendu fin janvier 2014 son rapport sur le Portugal.
Dans la Convention, le terme « enfant » signifie âgé de moins de 18 ans.
La Fondation Franz Weber avait attiré l'attention du CRC, composé de 18 experts indépendants, sur les problèmes posés par les corridas.
Dans son rapport, le Comité s’est dit « préoccupé par l’état de santé physique et mentale des enfants qui participent à un apprentissage de la tauromachie et aux corridas liées à celle-ci, de même que par l’état de santé mentale et l’état émotionnel des enfants spectateurs exposés à la violence de la tauromachie. »
Le Comité, « en vue d’interdire à terme la participation des enfants à la tauromachie, invite instamment l’État partie à prendre les mesures législatives et administratives permettant de protéger tous les enfants qui participent à un apprentissage de la tauromachie et aux corridas, et aussi ceux qui assistent à la corrida en tant que spectateurs. » Il est ainsi demandé au Portugal de relever l’âge légal minimum pour participer ou pour assister à des corridas.
Et le Comité « engage instamment l’État partie à mener des campagnes de sensibilisation sur la violence physique et mentale liée à la tauromachie et sur ses effets sur les enfants. »
Soulignons tout particulièrement que le Comité estime, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres domaines, que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur la responsabilité parentale, et que l’État se doit donc d’intervenir. Ce principe avait été énoncé par le rapport Kriegel remis en 2002 au ministre de la Culture français : « en cas de heurt perpendiculaire entre la liberté d'un adulte et la protection d'un enfant mineur, c'est la protection de l'enfant qui doit l'emporter. »
Nous partageons complètement les préoccupations du CRC, ainsi que maints professionnels des autres pays où se pratiquent des corridas. Il va de soi que ces préoccupations s'appliquent non seulement aux corridas portugaises, où le taureau est abattu hors la vue du public, mais à plus forte raison aux corridas espagnoles, dont le dernier tiers est consacré à la mise à mort en public de l’animal. Celles-ci sont pratiquées dans onze départements du Sud de la France.
Le Comité des Droits de l’Enfant devrait rendre son rapport sur la France début 2016.
Nous souhaitons vous interroger sur les mesures réglementaires que le gouvernement a l'intention de mettre en œuvre d’ici là pour protéger les mineurs des corridas, compte-tenu des recommandations clairement exprimées par ce Comité :
1) Quel âge minimum le gouvernement entend-il imposer :
- pour l'inscription dans les associations dites « écoles taurines » dédiées aux courses sanglantes ?
- pour la participation aux spectacles tauromachiques sanglants, y compris les becerradas et les novilladas ?
- pour l'assistance aux spectacles tauromachiques sanglants, où il n'existe pas d'âge minimum requis, les enfants bénéficiant souvent au contraire de la gratuité ?
2) Le gouvernement va-t-il continuer à autoriser les écoles taurines dédiées aux courses sanglantes telles qu'elles existent, dès lors que leur raison d'être est d'accueillir des enfants à partir de 10 ans voire moins, pour les entraîner à planter des banderilles et à tuer des veaux ?
3) Quel contrôle le gouvernement entend-il mettre en œuvre sur le prosélytisme exercé envers les enfants, dans le cadre d'attractions leur étant destinées à l'occasion des férias, ou dans le cadre d'activités périscolaires voire scolaires (confection d'affiches, exposés, sorties à thématique tauromachique, invitations de matadors…) ?
4) Quelles mesures le gouvernement entend-il mettre en oeuvre pour sensibiliser les citoyens à la violence physique et mentale associée à la corrida et son impact sur les enfants ?
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame la ministre, l'expression de notre considération respectueuse.
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Dr Jean-Paul RICHIER, psychiatre, praticien hospitalier, coordinateur du collectif PROTEC (http://www.collectif-protec.fr)
Pr Laurent BÈGUE, Professeur de Psychologie sociale à l'Université de Grenoble, directeur de la MSH-Alpes, membre honoraire de l'IUF, membre du Comité scientifique de la délégation ministérielle contre les violences en milieu scolaire.
Pr Jacques LEROY, Professeur de Droit à l’Université d’Orléans, Doyen honoraire.
Pr Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur de Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Limoges, Chercheur à l’Institut de Droit Européen des droits de l'Homme de l’Université de Montpellier I.
Pr Hubert MONTAGNER, Docteur ès Sciences, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de recherche à l'INSERM, ancien Directeur de l’Unité « Enfance inadaptée » à l’INSERM.